L’Aube de la Grâce : 1928, la Fondation de l’Opus Dei par Josemaría Escrivá

 

Madrid, 2 octobre 1928. Une journée ordinaire pour beaucoup, un jour de grâce pour un homme. Alors que la ville s’éveille dans le tumulte de ses rues agitées, un jeune prêtre espagnol, âgé de seulement 26 ans, prie dans le recueillement du monastère des Missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul. Ce prêtre, c’est Josemaría Escrivá de Balaguer, et à cet instant précis, il va recevoir une vision qui changera à jamais le visage du catholicisme.

Né dans une Espagne en pleine mutation, entre la ferveur religieuse et l’émergence des idéologies modernistes, Escrivá est un homme en quête. Il cherche un chemin nouveau, une voie qui permettrait aux hommes et aux femmes de sanctifier leur vie quotidienne, de découvrir la sainteté dans les gestes les plus simples, au milieu de la vie laïque. C’est dans cette Espagne des années 1920, où l’Église est ébranlée par les vents de la sécularisation et les tensions politiques, qu’il reçoit ce qu’il appelle une "illumination divine".

La révélation est d'une clarté éclatante : Dieu appelle tous les hommes à la sainteté, non seulement les prêtres, les moines et les religieuses, mais chaque personne, quelle que soit sa condition sociale, à travers son travail, sa famille, ses obligations de tous les jours. Ainsi, l’Opus Dei, littéralement "l’œuvre de Dieu", est fondé.

Ce n’est pas une nouvelle congrégation religieuse, ni un ordre monastique. Non, l’Opus Dei est un mouvement profondément laïc. Il se veut une révolution spirituelle discrète mais puissante, un appel à élever le quotidien vers le divin. Il est une réponse à un monde en pleine transformation, où les fidèles cherchent de nouveaux repères dans un siècle de progrès scientifiques et d’idéologies séculaires.

L’idée fondatrice d’Escrivá est simple mais radicale : chaque être humain est appelé à la sainteté, non pas en fuyant le monde, mais en s'y plongeant pleinement. Pour la première fois, le concept de laïcité active dans la foi prend tout son sens. Le travail, les relations familiales, la vie professionnelle, tout devient un moyen de se rapprocher de Dieu. À travers chaque tâche, chaque défi du quotidien, les membres de l’Opus Dei sont appelés à offrir leur vie à Dieu, à faire de chaque geste une prière silencieuse.

Mais revenons à Madrid, cette capitale bouillonnante, creuset de passions politiques et sociales. En 1928, l'Espagne est au bord d'une ère de grands bouleversements. Les tensions sociales et religieuses grondent, annonçant les heures sombres de la guerre civile espagnole qui éclatera quelques années plus tard. L’Église est contestée, sa place dans la société vacille, et de nouvelles idéologies laïques et marxistes remettent en cause les fondements spirituels de la nation. C’est dans ce contexte explosif qu’Escrivá pose les premières pierres de son œuvre. Une œuvre qui, malgré les incertitudes et les crises à venir, portera la flamme de la foi dans les décennies suivantes.

Au cœur de cette fondation, Escrivá s'entoure d'un petit groupe de fidèles, des jeunes hommes et femmes de toutes conditions sociales, qu'il appelle à sanctifier leur vie à travers le travail et l'étude. Contrairement à ce qui était courant à l'époque, il insiste sur le fait que la sainteté n'est pas réservée à l'élite spirituelle, mais est accessible à tous. Ce message, à la fois novateur et ancré dans la tradition chrétienne, attire rapidement de nombreux disciples.

Ce qui est fascinant dans l'Opus Dei, c’est sa dimension universelle. Escrivá perçoit dès le début que son mouvement transcende les frontières nationales, qu’il est destiné à se propager au-delà des montagnes espagnoles, dans toute l'Europe, puis dans le monde entier. Le message est universel : tous peuvent trouver Dieu dans leur vie quotidienne, au bureau, à l’usine, dans l'éducation de leurs enfants ou en étudiant à l'université.

Escrivá lui-même est une figure paradoxale, à la fois profondément humble et incroyablement visionnaire. Petit de taille, mais animé d’une énergie débordante, il se rend inlassablement dans les quartiers pauvres de Madrid, pour prêcher, écouter, inspirer. Il croit profondément que le travail est une forme de prière, que l’étude est une manière de glorifier Dieu, et que même les plus petites actions peuvent avoir une valeur spirituelle immense. Il aime dire : "Il n’y a pas de petites choses, tout peut être grand si c’est fait avec amour."

Pour Escrivá, chaque moment de la vie est une occasion de sanctification. "Santificar el trabajo" — sanctifier le travail — devient le leitmotiv de son mouvement. Au fil des ans, cet idéal attire de plus en plus de personnes, notamment des intellectuels, des professionnels, des étudiants, des artisans, tous désireux de vivre leur foi au cœur du monde moderne. Ce n’est pas une retraite du monde, mais une immersion complète dans celui-ci, transformée par la lumière divine.

Cependant, cette croissance rapide n’est pas sans susciter des controverses. L’Opus Dei, avec ses méthodes novatrices et sa structure à la fois ouverte et secrète, intrigue, fascine et parfois dérange. Ses détracteurs l’accusent de chercher à infiltrer l’Église et la société pour promouvoir un agenda caché. Mais pour ses membres, il s’agit d’un chemin vers la sainteté, une nouvelle manière de vivre l'Évangile dans un monde en mutation.

En 1941, l’Opus Dei est officiellement reconnu par l’Église catholique, une étape cruciale dans la légitimation de cette œuvre. Mais ce n’est que le début d’une longue expansion. En 1950, le pape Pie XII permet aux membres de l’Opus Dei d’incorporer également des prêtres, donnant au mouvement une dimension sacerdotale en plus de son caractère laïc. À partir de là, l’Opus Dei connaît une croissance fulgurante, implanté dans de nombreux pays à travers le monde.

L’empreinte d’Escrivá sur l’Église catholique ne cessera de grandir. En 2002, il est canonisé par le pape Jean-Paul II, qui voit en lui un exemple de sainteté accessible à tous. "L'Œuvre de Dieu", née dans la discrétion d'une prière solitaire à Madrid, est devenue un mouvement mondial, fort de milliers de membres, des hommes et des femmes engagés à sanctifier leur quotidien.

Aujourd'hui encore, l'Opus Dei continue de jouer un rôle influent dans l'Église et dans la société, fidèle à la vision initiale d'Escrivá : répandre la sainteté dans chaque recoin du monde, dans chaque geste, chaque action, chaque instant de la vie ordinaire.

Josemaría Escrivá, ce prêtre au cœur brûlant de foi, a offert au monde une nouvelle manière de percevoir la sainteté. Il a montré que, dans la poussière des bureaux, le bruit des ateliers et la routine des foyers, l’œuvre de Dieu peut s’accomplir. Et cette œuvre, née à Madrid en 1928, continue de briller aujourd’hui, un phare pour ceux qui cherchent la lumière dans l’ombre de la vie quotidienne.




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