L'Avènement de Ienari Tokugawa en 1786 : L'Aube d'un Long Règne sous les Cieux

 Généalogies japonaises (1) : les Tokugawa | Histoire du Japon

Le Japon du XVIIIe siècle, baigné par les eaux tranquilles de la mer et veillé par les montagnes sacrées, était une terre de traditions millénaires, où l’ordre régnait sous le regard vigilant des shoguns Tokugawa. En 1786, sous la bienveillance des cerisiers en fleur, un nouveau chapitre s’ouvrit dans l’histoire de cette dynastie : Ienari Tokugawa, jeune héritier d’une lignée puissante, devint le onzième shogun du Japon. À seulement onze ans, il s’apprêtait à diriger une nation millénaire dans l'une des périodes les plus stables et prospères de son histoire.

L’héritage de la dynastie Tokugawa : un Japon pacifié

Depuis la bataille décisive de Sekigahara en 1600, où Ieyasu Tokugawa s’était imposé comme le maître du Japon, la dynastie Tokugawa régnait en tant que shoguns, gouvernant depuis le château d’Edo, aujourd'hui Tokyo. Le shogunat, système où le pouvoir militaire et politique était concentré entre les mains du shogun, laissait l’empereur en retrait, confiné à des rôles spirituels à Kyoto.

Sous les Tokugawa, le Japon entra dans une période de paix intérieure prolongée, connue sous le nom de période Edo (1603-1868). Le pays, autrefois déchiré par des guerres féodales entre les daimyos (seigneurs de guerre), se referma sur lui-même, instaurant une politique d’isolement, le "sakoku", pour se protéger des influences étrangères et des conflits extérieurs. Le commerce avec le monde extérieur fut limité aux quelques échanges autorisés avec la Chine et les Pays-Bas, sur l'île de Dejima à Nagasaki.

L’ascension de Ienari : un destin entre ombres et lumières

Ienari Tokugawa naquit en 1773 dans un Japon en paix, mais aussi en mutation. Fils adoptif de Shogun Ieharu Tokugawa, il fut préparé dès son plus jeune âge à assumer cette position suprême, entouré des plus grands conseillers et formé selon les codes stricts du bushido, la voie du guerrier. Le 1er mai 1786, à seulement onze ans, il succéda à Ieharu après la mort de ce dernier.

Mais derrière cette accession au pouvoir se cachait une réalité complexe. En raison de son jeune âge, les premières années de son règne furent dominées par ses conseillers, en particulier Matsudaira Sadanobu, un homme de grande intelligence qui imposa des réformes rigoureuses pour redresser l’économie du shogunat. Le Japon, bien que pacifique, faisait face à des crises économiques et sociales, exacerbées par les famines et la montée des coûts liés à l’administration du pays. Le "Réforme de Kansei", menée par Sadanobu de 1787 à 1793, fut une tentative de restaurer l’ordre moral et économique en renforçant les valeurs confucéennes, limitant les dépenses somptuaires, et en interdisant les critiques contre le gouvernement.

Le règne le plus long de l’histoire du shogunat

Malgré ces débuts sous tutelle, Ienari s’affirma progressivement comme un shogun puissant et influent. Son règne, qui allait durer jusqu’en 1837, fut le plus long de toute la dynastie Tokugawa, marquant ainsi une stabilité rare dans l’histoire du Japon. Sous son règne, la paix perdura, les arts fleurirent, et la culture urbaine d’Edo, avec ses théâtres kabuki, ses estampes ukiyo-e, et ses maisons de thé, connut un âge d’or.

Cependant, la prospérité d’Edo cachait aussi des tensions sociales croissantes. Les samouraïs, autrefois fiers guerriers, étaient désormais pour la plupart des bureaucrates ou des seigneurs de domaines, et beaucoup d’entre eux vivaient dans une pauvreté cachée. Le système des castes, strictement hiérarchisé, où les samouraïs étaient au sommet, suivis des paysans, des artisans, et enfin des marchands, commençait à se fissurer. Les marchands, bien que théoriquement au bas de l’échelle sociale, amassaient de plus en plus de richesses, défiant l’ordre établi.

Les ombres du déclin : un pouvoir en sursis

Si Ienari jouissait d'un règne long et en apparence prospère, il fut également marqué par un retour à un style de vie de luxe et de décadence dans les dernières décennies de son pouvoir. Connu pour avoir eu un harem de plusieurs centaines de concubines et plus de cinquante enfants, il s’éloigna des idéaux austères prônés par Sadanobu au début de son règne. Les excès de la cour d’Edo devinrent légendaires, tandis que la population rurale souffrait toujours de famines périodiques et de réformes impopulaires.

Le Japon, bien qu'isolé, commençait à sentir la pression croissante des puissances occidentales, en particulier les Américains et les Britanniques, qui cherchaient à forcer l’ouverture de ce mystérieux royaume fermé. Si Ienari parvint à maintenir les frontières closes durant son règne, son successeur allait être confronté à des défis bien plus pressants.

L’héritage de Ienari Tokugawa : entre gloire et crépuscule

Le règne de Ienari, bien que long et couronné de nombreux succès, marqua aussi le début du déclin du shogunat Tokugawa. Après sa mort en 1841, le Japon entra dans une période de troubles, où les pressions économiques, sociales, et internationales devinrent insoutenables. En 1868, à peine trois décennies après sa disparition, la dynastie Tokugawa s’effondrait, emportée par la Restauration de Meiji, qui mit fin à plus de deux siècles de domination shogunale.

Pourtant, l'ère de Ienari demeure l'un des moments les plus fascinants de l'histoire japonaise. Son règne incarne le paradoxe d’une époque où la paix régnait, mais où les fondations de cette paix se fragilisaient peu à peu. Les estampes représentant les scènes de la vie quotidienne dans Edo, les récits des samouraïs honorant leur code, et les poèmes décrivant la beauté des cerisiers en fleurs sont autant de témoignages de cette époque de splendeur éphémère.

Le shogun Ienari Tokugawa, avec son règne légendaire, incarne à lui seul la grandeur et les contradictions de l’époque Edo. Une époque où la paix régna sous les cieux immenses du Japon, mais où chaque souffle du vent portait en lui les murmures d’un changement inéluctable.


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