Borodino : Le Chant Funèbre de l'Empire de Napoléon

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Le 7 septembre 1812, alors que le soleil se levait lentement sur les plaines russes, une bataille titanesque s'apprêtait à éclater. Cette journée marquera à jamais l'Histoire sous le nom de Bataille de la Moskova – ou Borodino, comme l'appellent les Russes – et restera gravée dans la mémoire collective pour son incommensurable carnage, son héroïsme et sa férocité. Elle incarne l'apogée d'une campagne audacieuse mais fatale, celle de la Russie, menée par un homme qui se croyait invincible : Napoléon Bonaparte.

Le Contexte : L'Aigle face à l'Ours

Depuis des années, Napoléon domine l'Europe. Son ambition semble sans limites, et en 1812, c'est la Russie qui devient sa nouvelle cible. Il veut forcer le tsar Alexandre Ier à se plier à sa volonté et intégrer la Russie dans le Blocus continental qu’il a mis en place contre l’Angleterre. Mais Alexandre, bien que plus discret, est tout aussi déterminé que l'empereur français à ne pas céder. Les deux hommes sont en route vers un affrontement inévitable.

Napoléon décide d'envahir la Russie avec une armée gigantesque, la Grande Armée, composée de plus de 600 000 hommes. C’est une force comme l’Europe n’en a jamais vue. Pourtant, le chemin de la gloire sera plus périlleux qu’il ne l’avait prévu. La Russie, vaste, mystérieuse et cruelle, ne se laisse pas conquérir aussi facilement. Le général russe Mikhaïl Koutouzov, un vétéran plein de ruse, adopte une tactique inhabituelle : il recule, brûle les villages et les champs, refusant la confrontation directe. Napoléon avance dans un pays désertique, la nourriture se fait rare, et ses hommes s'épuisent.

Alors que la Grande Armée approche de Moscou, Koutouzov choisit enfin de se battre. C'est à Borodino, un village modeste, que les deux titans se rencontreront.

Borodino : La Fureur et la Gloire

Dès l'aube du 7 septembre, les premières détonations se font entendre. Sur la rive de la Moskova, les soldats français et russes se regardent en chiens de faïence, chacun sachant que la journée sera longue, sanglante et décisive.

Koutouzov a fait fortifier ses positions. Des redoutes imposantes, comme celle de Raïevski, sont prêtes à défier l'assaut français. Napoléon, du haut de son poste d'observation, surveille le champ de bataille, chaque recoin, chaque mouvement. À ses côtés, ses plus fidèles maréchaux – NeyMuratDavout – attendent ses ordres, impatients de frapper.

Le premier assaut est donné. Les canons rugissent, les volées d’obus déciment les rangs. Les soldats avancent sous une pluie de feu. Les Français se jettent contre les redoutes russes, les combats sont acharnés. Le sol tremble sous le fracas des sabots des chevaux et le martèlement des bottes des soldats. Borodino n'est plus qu'un immense tourbillon de violence.

Les Russes résistent, retranchés derrière leurs positions fortifiées, mais les Français reviennent sans cesse à la charge, comme des vagues inlassables s'écrasant sur des rochers. La Garde impériale, l'élite des troupes de Napoléon, reste en retrait, prête à intervenir si nécessaire, mais l'Empereur hésite. Peut-être est-ce la maladie qui le cloue dans cette étrange inaction, ou la prudence de ne pas sacrifier ses derniers hommes d'élite.

Malgré les heures qui défilent et les rivières de sang versées, aucune des deux armées ne cède. La redoute de Raïevski change de mains plusieurs fois dans la journée, chaque reprise de position coûtant la vie à des milliers de soldats. Le courage et la folie se mêlent sur ce champ de bataille où la gloire se paie au prix le plus fort.

Un Carnage Sans Vainqueur

À la tombée de la nuit, alors que la fumée des canons noircit le ciel, Napoléon a pris le terrain, mais la victoire est bien amère. Il déplore près de 30 000 morts ou blessés dans ses rangs. Chez les Russes, les pertes sont encore plus lourdes : près de 40 000 hommes gisent sur le champ de bataille. Mais, malgré tout, l’armée russe tient toujours. Napoléon a remporté une victoire tactique, mais il a perdu un nombre d’hommes trop considérable pour espérer poursuivre son épopée.

Borodino est un charnier, une plaine où la mort règne en maîtresse absolue. Un cauchemar où la stratégie se heurte à l'obstination des hommes et à la terre dévastée de Russie.

Moscou : Une Ville Fantôme

Napoléon entre à Moscou quelques jours après cette bataille décisive. Il espérait y trouver la gloire, mais il n’y découvre qu’une ville déserte. Les Russes, dans un geste désespéré et sacrificiel, ont incendié leur propre capitale, ne laissant rien d’utilisable à l’envahisseur. Moscou brûle sous les yeux de Napoléon, et avec elle, ses rêves de conquête.

Il attendra des semaines, espérant une reddition qui ne viendra jamais. Finalement, l'hiver approchant, Napoléon ordonne la retraite. La Russie, ce pays immense et indomptable, a résisté, et ce qui reste de la Grande Armée entame un voyage de retour marqué par la faim, le froid, et la mort.

Borodino : Le Début de la Fin

La Bataille de la Moskova n'est pas seulement une confrontation sanglante, c’est un tournant. Napoléon, autrefois invincible, voit son étoile commencer à pâlir. La Russie ne tombera pas. Et, quelques mois plus tard, à son retour en France, l'Empire vacillera.

Pour la Russie, Borodino devient un symbole national, celui de la résistance, de la fierté, et du sacrifice. Des décennies plus tard, le grand poète Lermontov écrira sur ce jour, célébrant la bravoure de ceux qui ont défendu leur terre face à l’ennemi.

La campagne de Russie, avec Borodino en son cœur, symbolise les limites des rêves de conquête. La victoire de Napoléon ce jour-là n'était qu'une victoire illusoire, car elle ouvrait la porte à sa chute, une chute qui résonnera dans toute l’Europe.

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